Bulletin officiel du ministère chargé de la protection de l'environnement n° 70/66 , textes n° 490, 490 bis et 490 ter
Mon attention vient d'être tout spécialement appelée sur l'initiative de certaines municipalités qui procèdent sans discernement soit à l'abattage, soit à la mutilation des plantations d'alignement des voies publiques à l'intérieur ou à la limite des zones urbanisées.
J'ai lieu de déplorer que les autorités et services responsables se laissent abuser par l'imputation aux plantations de nombreux accidents de la circulation ou cèdent à la facilité d'un élargissement de la chaussée par arrachage des arbres d'alignement. Il est certes exact que l'écartement insuffisant des plantations crée un sérieux danger pour les usagers de l'automobile et que la suppression de ces plantations permet de gagner, au moindre coût réel immédiat, les surlargeurs nécessaires à l'écoulement du trafic. Mais ces constatations ne sauraient servir de prétexte à une politique d'abattage systématique plus particulièrement en milieu urbain où l'adaptation de la réglementation et la mise en place de plans de circulation limitent les dangers dénoncés et garantissent une meilleure exploitation du réseau. Le choix est à ce niveau nécessaire entre les gênes occasionnées par tout obstacle naturel ou artificiel existant dans l'emprise externe de la voie publique et la chance offerte par les plantations d'alignement d'humaniser l'environnement urbain.
De tout temps l'accent a été mis sur l'intérêt de planter des arbres en bordure des routes et des chemins. Les raisons d'un tel intérêt ont certes varié suivant les époques mais l'histoire de la voirie s'émaille de textes qui vont jusqu'à l'exprimer en termes d'obligation aussi bien pour les riverains que pour les collectivités publiques. L'étendue et la permanence de la politique suivie tout au long des siècles en ce domaine trouvaient leur sanction dans l'interdiction faite par l'article 99 du décret du 16 décembre 1811 de ne couper ou abattre aucun arbre d'alignement que sur autorisation de l'administration centrale, après constatation de son état de dépérissement et à charge de le remplacer immédiatement. Ce texte est resté en vigueur jusqu'à l'ordonnance n° 58-1351 du 27 décembre 1958.
La protection assurée par les articles L. 257 et R. 40-8° du Code pénal et les mesures prescrites par les instructions relativement récentes n'en continuent pas moins à porter témoignage de cet immémorial respect de l'arbre. C'est ainsi que la circulaire de codification du ministre des Travaux publics du 16 juin 1936, non seulement souligne les divers avantages des plantations d'alignement, mais encore définit les essences qui doivent être de préférence utilisées et les soins à donner aux divers sujets. Par-là s'explique que les routes françaises s'ornent de plantations magnifiques souvent séculaires qu'il serait déraisonnable et même criminel de sacrifier.
L'élagage doit être d'autre part conduit de manière à conserver à celles-ci leur pleine vitalité.
Il convient certes d'assurer une taille régulière des arbres de façon à éviter que leur croissance ne puisse gêner les riverains des voies publiques et les installations des services publics ou bien encore que des branches mortes ne provoquent des accidents dont la collectivité compétente serait directement responsable. Mais une taille régulière doit assurer la croissance harmonieuse de l'arbre, permettre d'obtenir des effets décoratifs certains et assurer la conservation des plantations.
Un soin tout particulier doit donc être apporté à ces opérations qui devraient être assurées sous le contrôle de personnes qualifiées, afin que, en aucun cas, les plantations n'aient à souffrir d'un élagage mal conduit. J'ai pu constater en effet que certaines tailles mal pratiquées aboutissaient en fait à de véritables mutilations des arbres, compromettant inutilement l'esthétique des plantations.
Je vous demande d'appeler l'attention des maires et celle des services qui dépendent de vous sur ce point.
Aujourd'hui les plantations le long des voies font le charme et l'agrément de nos cités. Elles les insèrent dans un cadre de verdure comportant souvent beaucoup plus d'arbres que les espaces verts spécialement aménagés. Compensant l'insuffisance de ceux-ci, elles contribuent à l'atténuation des nuisances urbaines. Elles représentent un capital inestimable tant au point de vue de l'esthétique que de la santé publique.
Je ne pense pas avoir besoin de me livrer sur ce point à des spéculations littéraires. J'estime en revanche absolument indispensable d'obtenir de chacun qu'il prenne vraiment conscience de l'acuité du problème posé. Il serait pour le moins intolérable que dans le temps où les pouvoirs publics s'efforcent de développer les espaces verts, de sauvegarder les sites naturels et de promouvoir un urbanisme intégré à la nature, des décisions inconsidérées ou des actions malheureuses viennent ralentir ou compromettre l'action entreprise.
Je vous demande, en conséquence, d'inviter les maires à la plus grande circonspection lorsqu'ils sont saisis d'une proposition d'arrachage d'arbres d'alignement. Il est indispensable qu'ils portent aussi une particulière attention à l'entretien et à la taille des plantations. Vous voudrez bien veiller personnellement à ce que les services placés sous votre autorité s'attachent à conserver de même les plantations existantes. Aucun projet d'aménagement routier en milieu urbain ne doit plus être établi qu'après qu'ont été recherchées toutes les solutions susceptibles d'éviter de porter atteinte à ces plantations.